Le blues d’un vigneron
Publié le 31 octobre 2025 par Goût, Saveur et Tradition

Nicolas LE SAINT est issue d’une famille de vignerons en pays de Loire, enfant il baignait déjà dans l’univers du vin pendant ses vacances en famille. Après de brillantes études d’ingénieur agronome et diplômé d’œnologie, Nicolas forge son expérience dans de grandes propriétés.
À la fois vigneron passionné, blogueur, artiste peintre, dessinateur. Poète, doté d’une sensibilité qu’on perçoit à travers ses œuvres, il pose ses bagages à Saint-Loubès en 2009, où les propriétaires du Château Reignac lui confient les clefs du domaine en tant que Directeur Technique. Il commence par tenir un journal de bord pendant la période des vendanges.
« Les temps changent et il va nous falloir s’adapter à ces changements… cela ne sera ni simple, ni toujours possible ».
Je suis arrivé dans la viticulture voilà maintenant 29 ans comme un jeune à qui on explique un métier qu’il ne connaissait pas. J’ai vu des stratégies, des pratiques, des habitudes et pas mal d’erreurs qu’à l’époque je ne voyais pas encore comme des énormités technologiques et écologiques.
Autres époque, autres mœurs !
Mais déjà une sensibilité particulière, une pression commerciale faisait bouger les lignes de la profession et tant mieux car cela me plaisait et allait dans le sens de mes valeurs.
Lorsque je regarde en arrière il est assez impressionnant de voir combien nos pratiques culturales ont évoluées, combien elles ont changées, abandonnant nombre de produits dangereux tels que l’Arsenite de soude, le Gramoxone et bien d’autres Atrazine et saloperies du même genre, combien la conscience des professionnels s’est éveillée avec certes le développement du Bio mais aussi d’une certaine philosophie écologique intégrant le Bio comme une partie du système cultural choisi avec un pragmatisme occasionnel permettant d’assurer la pérennité d’une propriété face aux aléas climatiques qui souvent ont vus des structures faire machine arrière confrontées directement à leur propre rentabilité.
Beaucoup tendent à opposer, confronter les philosophies
Je me suis toujours opposé aux caricatures de part et d’autre m’attachant à l’aspect scientifique, réglementaire, humain et économique, tout le monde n’est pas un grand cru classé du Médoc, tout le monde n’est pas dans la défiscalisation ou dans la haute sphère des spéculations viniques.
La réglementation a avancé pour tout le monde et si au début elle concernait principalement des « conventionnels », les bios se sont vites vus rattrapés eux aussi par la patrouille réalisant alors que pour eux aussi, d’un point de vue règlementaire, l’avenir allait très vite devenir compliqué…
Nous avons vu fleurir les délais de réentrée dans les parcelles suite à un traitement pour protéger le salarié, l’arrivée des cabines classe 4 pour protéger nos tractoristes, l’obligation pour eux aussi de respecter ces délais alors qu’ils sont protégés par leurs filtres à charbon, est arrivée par la suite la notion de Zone de Non Traitement pour protéger les cours d’eau avec l’élimination progressive d’énormément de produits utilisables dans ces endroits car utilisables qu’à 10m ou 20m, puis la protection des riverains avec des produits utilisables à 10m ou 20m des maisons mais adaptables en fonction du type de buses utilisables et là le Tetris géant commençait vraiment à devenir compliqué nous proposant uniquement comme solution de proximité des nouveaux produits « biocides » qui maintenant nous le savons ne marchent pas seuls.
J’oubliais l’interdiction de traiter le jour en période de floraison de la vigne pour protéger les abeilles alors que celle-ci n’est pas mellifère, et bientôt l’obligation d’enregistrer ses traitements avant de les réaliser sur une base de données dématérialisée permettant de contrôler en temps réel ce que l’on compte faire… sachant pour qui a déjà traité que rien ne se passe jamais comme prévu lors d’un traitement.
La réglementation change chaque année
Parfois en cours de saison avec des règles d’utilisation mais pas d’achat après certaines dates, des notions de non cumuls de produits commerciaux plus d’un certain nombre d’applications mais possible si juste le nom commercial change… des limites totales annuelles de cuivre, de phosphites baissant chaque année avec la possibilité de lisser ou pas ces cuivres en fonction des produits choisis, et on en rajoute, et on en rajoute poussés par une volonté nationale et pas forcément européenne d’être des modèles de vertu en oubliant le chemin parcouru et surtout la viabilité des propriétés en pilonnant régulièrement les médiats avec des reportages orientés et déformants en particulier en septembre, au moment des vendanges et d’un marché qui pendant longtemps fut porteur, les foires aux vins et en gravant dans le marbre une incapacité d’essayer de vendre correctement ses produits grâce à une loi EVIN délirante.
Nous sommes en fin de millésimes 2025 la période est extrêmement dure pour tout le monde et déjà le règlementaire nous tombe dessus pour les années à venir…
L’impossibilité d’utiliser certains cuivre
Désormais en cuivre seuls 17 produits restent autorisés pour traiter la vigne avec des contraintes délirantes rendant quasi impossible la mise en place de stratégies de lutte correctes. Mais savez-vous au moins en quoi consiste une lutte basée sur du cuivre face à une pluviométrie de printemps ?
Impossible de lisser son total annuel de cuivre déjà à 4Kg/ha/an avec des produits comme Heliocuivre et Champflo, certains cuivres inutilisables à moins de 10m des riverains de façon incompressible, mais oui on va arracher, rendez-vous en Bourgogne…
Et 15 autres produits qui représentent à eux seuls 50% de la consommation de cuivre sont en attente de ré-homologation et subiront les mêmes contraintes avec une disparition accélérée de beaucoup de références parce que oui la viticulture n’est plus rentable pour ceux qui tentent de nous fournir des armes pour nous défendre.
Il est désormais impossible de se débrouiller seul. Pour des structures de tailles moyennes ayant des riverains, des points d’eau et un nombre conséquent de salariés il est désormais impossible de se débrouiller seul pour définir son programme de traitement sans s’exposer à des retours de bâton par la DRAFF ou autres organismes de surveillance car oui nous sommes comme lors d’un contrôle de police sur la route confiants sur le fait de respecter la loi mais certains que des points noirs et des exceptions existent partout et peuvent nous rendre détestables.
La France ne veut plus de sa viticulture
Elle s’astreint régulièrement à la faire disparaître. Bientôt plus aucun conseiller, alors qu’on nous demande d’être accompagnés, ne voudra travailler et faire son job parce que oui il va devenir impossible de produire correctement et certes des petites structures dirigées par des techniciens conscients qu’un conseil reste un conseil et que chacun prend ses responsabilités en son âme et conscience existeront et assumeront leurs erreurs, des structures plus pyramidales ou à valeurs ajoutées plus élevées ne pardonneront rien procès à l’appui alors qu’aujourd’hui les produits restant ne vont bientôt plus permettre d’assurer une production correcte chaque année…
Regardez bien cette production magnifique, fierté de la France à l’international que même nos administrations sont en train de réussir à dégouter les français de consommer les produits, elle ne sera bientôt plus là parce que la machine va s’arrêter d’elle-même : plus de saisonniers, plus de salariés, plus de production, plus de consommation. Un ruissellement qui va détruire des régions entières simplement par une volonté hygiéniste de vivre.
J’ai 54 ans, il me reste quelques années à vivre de ce métier… ou pas…
Peut-être est-il temps de vivre d’autre chose…
Nicolas LE SAINT / Vigneron depuis 29 ans

