La guerre du Camembert
Publié le 5 septembre 2025 par Goût, Saveur et Tradition

Le fromage au lait cru c’est une tradition et un goût profondément liés à son mode de fabrication, à la diversité microbienne qu’il conserve et à l’histoire des régions fromagères. L’utilisation du lait cru remonte à plusieurs millénaires, c’est avant tout la transmission d’un savoir-faire.
Chaque territoire, chaque vallée, chaque village, chaque ferme possèdent ses propres gestes et recettes, souvent transmis de génération en génération.
De nombreux fromages Appellation d’Origine Protégée (AOP) comme le Comté, le Roquefort ou le Camembert de Normandie, sont historiquement fabriqués à partir du lait cru, ce qui préserve leur identité locale.
- Comté AOP → notes de beurre, noisette, parfois fruitées.
- Roquefort AOP → goût puissant, salé et persistant.
- Camembert AOP de Normandie au lait cru → saveur de champignon et crème, texture onctueuse.
Le Camembert a vu le jour durant la seconde moitié du 18ème siècle élaboré par Marie Harel, fermière dans le pays d’Auge. Pendant la Révolution, les Harel acceptèrent de cacher un prêtre venant de la Brie, où il avait observé comment ses paroissiens fabriquaient le fromage. Pour les remercier, il leur transmit les secrets de fabrication du brie.
En 1855, une des filles de Marie Harel offrit à l’empereur Napoléon III un fromage en lui disant qu’il provenait du village de Camembert. Son succès est lié au développement du chemin de fer qui permit une large diffusion dans toutes les régions de France, sa boite cylindrique fermée lui permit d’être transporté sans dommages.
En 1914, il est intégré dans la ration quotidienne des Poilus.
La confusion créée par certains industriels
La guerre du Camembert, lait cru contre lait pasteurisé, est le symbole de l’appétit des industriels pour les fromages AOP. À l’origine Le Camembert est un produit à base de lait cru.
Il ne faut pas confondre :
- Le Camembert AOP de Normandie : un fromage traditionnel, obligatoirement fabriqué à partir de lait cru de vaches normandes, moulé à la louche, avec un affinage d’au moins 21 jours.
- Et un autre fromage, produit à base de lait pasteurisé, qui facilite la conservation, ayant la même forme et le même aspect que l’original… avec un gout insipide !
C’est une question de législation et… d’histoire commerciale, ou de nombreux industriels ce sont engouffrés en surfant sur la méconnaissance des consommateurs. Ces industriels fabriquent un fromage à pâte molle et croûte fleurie, à base de lait pasteurisé et le commercialisent sous le nom de « Camembert ».
Historiquement, cela vient du fait que le mot « Camembert » soit tombé dans le langage commun lorsqu’en 1926, la cour d’appel d’Orléans a fait que ce mot devienne un terme générique… non protégé, utilisable par tout le monde.
Ce n’est qu’en 1996, qu’un cahier des charges strict : intégrant le lait cru, les vaches normandes, le moulage à la louche et produit en Normandie protégera un fromage de tradition avec l’appellation « Camembert AOP de Normandie ».
Trompés par le slogan « Fabriqué en Normandie »
Officiellement la mention « Camemberts de Normandie » est exclusivement réservée aux produits bénéficiant de l’Appellation d’Origine Protégée. Mais les consommateurs sont trompés par la formule « Fabriqué en Normandie » figurant sur les boites de camembert qui ne respectent pas le cahier des charges des AOP.
L’Appellation d’Origine Protégée est un signe de qualité géré par l’organisme de défense et de gestion (ODG) chargé de rédiger le cahier des charges et de veiller à sa bonne application.
Il y a quelques années, les industriels du lait ; Lactalis, Isigny-Sainte-Mère, Sodiaal, Savencia et Eurial, souhaitaient exploiter le prestige du label « AOP » en changeant les règles le cahier des charges… afin d’utiliser du lait pasteurisé. Par bonheur, ils ont échoué !
Fabrication du Camembert Traditionnel
Le lait n’est pas chauffé à plus de 40°C, ce qui préserve les bactéries et enzymes naturelles.
- La flore native du lait cru démarre la fermentation.
- le Caillage – Ajout de présure pour solidifier le lait.
- Découpage et brassage – Le caillé est tranché pour libérer le petit-lait.
- Moulage – Mise en forme dans des moules, avec égouttage spontané.
- Pressage – pour expulser l’excès de sérum.
- Salage – sel sec, pour assaisonner et protéger la croûte.
- Affinage – En cave, à température et humidité contrôlées
- 17 mois pour développer la texture, les arômes et la croûte.
Camembert AOP de Normandie contre Camembert fabriqué en Normandie
Avec un pouvoir d’achat en baisse, le consommateur s’oriente vers des produits un peu moins chers. Suivant la valse des formules et des étiquettes… il est perdu. Le Camembert « fabriqué en Normandie » (environ 60 000 tonnes), au lait pasteurisé, mais sans obligation d’être normand, entraîne une concurrence déloyale pour le « Camembert AOP de Normandie » (environ 6 000 tonnes), au lait cru, moulé à la louche.
Sur le terrain, les petits producteurs et les industriels se sont donc livrés une véritable bataille dans le bocage normand. Les premiers accusant les grands groupes d’utiliser des appellations pour induire les consommateurs sur les étiquettes. De l’autre, les industriels voulaient pouvoir mettre du lait pasteurisé y compris pour des fromages AOP.
le 22 février 2018, dans une tentative de conciliation, un texte dit du compromis est adopté sous l’égide de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité, le gendarme des appellations !
“L’étiquetage d’un produits ne doit pas être de nature à induire en erreur le consommateur et de nature à usurper des appellations d’origine protégée.”
Les industriels sont alors autoriser à utiliser l’AOP même avec du lait pasteurisé. En échange, ils devront respecter un minimum de 30% de lait cru et 30% de lait de vaches normandes.
L’idée était de créer un « Grand Camembert de Normandie AOP » englobant lait cru et lait pasteurisé. Les industriels se frottent les mains : ça leur ouvre la porte d’un énorme marché, grâce à l’image d’un « prétendu » produit traditionnel.
Volte Face de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité
En 2021, les producteurs traditionnels et petites fromageries normandes crient au scandale : Pour eux, pasteuriser, c’est « dénaturer l’âme du Camembert ». Mélanger lait cru et pasteurisé sous la même AOP « trompera le consommateur » en banalisant le gout et la qualité.
Sous la pression des syndicats d’éleveurs, des artisans et même de certains politiques, l’Institut National de l’Origine et de la Qualité annule les accords de 2018.
De ce fait, l’AOP sera réservée aux fromages au lait cru, respectant un strict cahier des charges. Les industriels pourront continuer à vendre leurs produits pasteurisés sans le label AOP, seulement en l’appelant « Camembert ».
Bon gré, mal gré, les industriels se mettent à la page. Dans les rayons, de nouvelles mentions ont vu le jour sur les boîtes du célèbre fromage normand : Lanquetot « fabriqué dans le pays d’Auge », Cœur de Lion « de la fromagerie de Ducey », camembert d’Isigny. Même s’il reste encore des étiquettes Président ou Lepetit « fabriqué en Normandie ».
Les industriels bénéficiaient d’une tolérance, maintenant, c’est fini.